Créé par Linné en
1758, le genre Formica
occupe la région Holarctique,
un territoire circumterrestre divisé en deux sous-régions :
Néarctique
et Paléarctique. Il se concentre dans les parties tempérées et boréales
jusqu’à la limite nord des forêts; il est absent dans la toundra. Il
comprend actuellement environ 350 espèces, dont une centaine en région
Néarctique (Ellison et
al. 2012).
Jusqu’à maintenant, le territoire du Québec recèle 31 espèces connues
du genre Formica,
subdivisé en sept groupes, ce qui en fait le plus important des genres.
Le nombre de nids et l’écologie de plusieurs espèces demeurent peu
investigués dans les divers habitats du territoire, en particulier dans
le versant sud des Appalaches et dans la taïga.
L’allure (ou habitus) de ce genre se distingue facilement de celui des
voisins Camponotus
et Lasius
par le profil latéral du mésosome : bien distinct, le
promésonotum forme une courbe convexe et soulevée, parfois aplatie,
suivie d’un très court métanotum, générant ainsi une séparation très
nette avec un propodéum bien abaissé (fig. A à C). L’occupation de
zones écologiques différentes, diverses petites variations
morphologiques, des combinaisons de couleurs, des agencements de poils
dressés et couchés révèlent une diversité d’espèces dont
l’identification s’avère parfois difficile, d’autant plus que la
taxinomie générale du genre demeure encore problématique. La
classification européenne utilise des sous-genres, tandis que la
Nord-américaine se base sur des groupes. Ces différences taxinomiques
commandent de nouvelles analyses pour déterminer le nombre réel des
espèces naturelles, puis des recherches globales à l’échelle
holarctique comme celle de Schär et
al. (2018) pour mieux cerner et comprendre les relations
phylogénétiques des espèces et des groupes d’espèces.
|
 |
Figures
A-C. A. Ergate du genre Formica.
B. Ergate du genre Camponotus.
C.
Ergate du genre Lasius.
À remarquer le profil très différent du
mésosome des ergates de ces trois genres. |
Diagnose.
Femelle ergate.
Corps : taille variant de 3 mm (premier couvain) à 9 mm;
couleur : soit
unicolore noire à brunâtre (parfois avec des teintes pâles), soit
nettement bicolore (tête, mésosome et pétiole rouge vif à sombre et
gastre noir à brun foncé); mésosome sans épines; glandes métapleurales
présentes, munies d’un orifice cilié, situé à l’angle ventropostérieur
du métanotum; pilosité (poils dressés) peu abondante, pubescence
(petits poils couchés) de densité variable, en général régulière.
Tête : forme influencée par la taille : un peu plus
longue que
large, forme
arrondie, trapézoïdale ou quadrangulaire; trois ocelles forment un
triangle inversé dans la zone du vertex; marge antérieure du
clypéus :
convexe, anguloconvexe ou anguleuse, avec ou sans échancrure médiane.
Palpes buccaux : maxillaires comprenant 6 articles, labiaux 4
articles.
Mandibules : marge masticatrice pourvue de 7 à 10 dents, en
moyenne 8.
Antennes de 12 articles : scapes longs, longueur quelque peu
variable;
flagelles à 11 articles courts, sans massue; fosses d’insertion de la
base (condyle) accolées à la marge postérieure du clypéus et à la base
du triangle frontal. Carènes frontales prenant naissance de chaque côté
de la base du triangle frontal, peu divergentes; au départ ces carènes
arrondies forment une courbe soulevée, suivie d’une ligne aplatie dont
l’extrémité se tourne courtement vers les yeux, en général; longueur
variable comparée à la distance frontale séparant leur extrémité
postérieure. Yeux composés de taille variable, situés dans la moitié
postérieure de la face dorsale de la tête, comprenant plus de 200
ommatidies; parfois présence de poils longs ou de micropoils entre
elles chez quelques groupes. Métacoxas en vue ventrale :
extrémités
basales juxtaposées (nettement séparées chez le genre Lasius (Agosti
& Bolton 1990)). Métatibias : garnis de poils dressés
à la base
des deux faces latérales; pubescence faible et dispersée sur la face
ventrale. Propodéum en vue latérale : marges dorsale et
postérieure se
reliant par un angle faible ou formant une convexité continue; ostiole
de forme elliptique ou en forme de fente, situé loin de ses marges
dorsale et postérieure. Pétiole : développement variable en
largeur et
en hauteur, épais à la base et mince au sommet, marge dorsale
diversement convexe. Gastre volumineux.
Femelle gyne.Corps
de grande taille en général, rarement petite. Yeux composés de grandeur
variable, positionnés dans la moitié postérieure de la tête,
accompagnés de trois ocelles globuleux. Thorax développé pour le vol
avec deux paires d’ailes à l’émergence; après l’accouplement en vol,
retour au sol et détachement des ailes. Gastre volumineux, aussi grand
que le mésosome.
Mâles.Taille
égale ou plus grande que celle des gynes, de couleur noire. Forme de la
tête variable, surtout en largeur. Yeux composés très grands,
positionnés près des angles postérieurs de la tête, accompagnés de
trois ocelles très globuleux. Antennes de 13 articles, sans massue.
Mésosome : profil différent de celui de la gyne, affichant un
thorax
soulevé et développé pour le vol avec des ailes permanentes.
Pétiole :
sommet à hauteur faible et arrondi, épais en largeur, marge dorsale
avec une échancrure médiane souvent présente. Génitalia très
développés, en partie évaginés en général.
Nymphes.
Blanches, enveloppées dans un cocon brun pâle et faiblement souple.
Bioécologie. Les
espèces de Formica
occupent presque tous les habitats disponibles,
caractérisant ainsi un des genres dominants dans la région Néarctique.
Plus de la moitié des espèces développent souvent d’énormes populations
polygynes qui construisent des nids dont les parties aériennes
surprennent par leur étendue ou leur hauteur. Leur activité
d’excavation influence le développement des sols (Béique &
Francoeur 1968, Frouz & Jilkova 2008, Lafleur et al. 2002,
Hölldobler & Wilson 1990). Plusieurs espèces fondent le
développement de leurs colonies sur divers types de relations comme la
polygynie et la polydomie, le parasitisme temporaire et l’esclavagisme.
Ces caractéristiques biosociologiques ont suscité de nombreuses études
scientifiques signalant leur importance écologique dans les biomes de
l’hémisphère nord. Ces fourmis libèrent de l'acide formique pour
chasser ou se défendre; mais elles n’ont pas d’aiguillon (Fisher
& Cover 2007, Hölldobler & Wilson 1990, Passera
& Aron 2005).
La chasse de petits arthropodes vivants ou morts et la récolte de
miellat produit par des pucerons, des cochenilles et d’autres groupes
d’Hémiptères, constituent la nourriture principale des colonies. À
l’occasion, elles vont dévorer des œufs d’insectes et récolter le suc
exsudé de plantes et de fruits; on peut aussi observer des butineuses
sur divers petits cadavres d’animaux dont des grenouilles. Si
nécessaire, les pucerons seront déplacés vers d’autres secteurs d’une
plante pour maintenir un ravitaillement constant de miellat; phénomène
évolutif très intéressant, le cycle de développement de certaines
espèces de pucerons dépend de l’aide des fourmis.
Répartition.
Le genre Formica
occupe le territoire du Québec jusqu’à la limite nord des arbres et
sporadiquement dans la courte transition (écotone) vers la toundra. Le
nombre restreint d’espèces dans cette limite augmente rapidement en
descendant jusqu’à la frontière des États-Unis (Francoeur 1983,
Francoeur 2001). Ce genre domine la moitié sud du territoire par le
nombre de nids souvent surmontés d’un dôme ou d’une plage de débris de
terre ou de végétaux, ou entourant des pièces de bois morts (souche,
tronc). Les espèces de Formica
sont présentes dans les milieux forestiers, les milieux ouverts ou
humides, ainsi que les milieux anthropiques.
INFORMATIONS PRATIQUES
Identification.
Les espèces du genre Formica
s’avèrent quelque peu difficiles à identifier au premier abord, à cause
de la petite taille des femelles ergates (premiers couvains), et de la
variation et du chevauchement des caractères à utiliser, surtout pour
le Groupe subaenescens
(= Groupe fusca).
Pour obtenir une forte confiance dans le processus d’identification,
l’exploitation des différences est plus élaborée dans cette clé que
pour les autres genres de la myrmécofaune du Québec. Pour cette raison,
elle est supportée par de nombreuses photos et plusieurs dessins.
Ainsi, la probabilité d’erreurs d’identification devrait s’avérer
faible. En outre, avoir plusieurs spécimens d’une même colonie
(échantillon) est un atout versus un seul spécimen qui butine hors du
nid. Les clés sont construites pour les femelles ergates (ouvrières),
mais certains caractères, en particulier de la tête et du gastre,
peuvent, parfois, permettre d’identifier des femelles gynes (reines).
Dans la littérature, les noms des espèces ont changé avec la
progression constante des connaissances depuis Linné. Pour s’y
retrouver avec les taxons de ce genre, le cas échéant, deux outils
universels pour cheminer seraient le catalogue des fourmis du Monde
(format papier) de Bolton (1995) et sa mise à jour (Bolton et al. 2007) en
format numérique (CD-ROM). D’autres outils existent sur la Toile
(AntWiki.org 2023).
Le positionnement précis d’un spécimen sur un statif à axes mobiles est
essentiel pour observer sous une loupe stéréoscopique les divers
caractères morphologiques décrits dans les clés et ainsi d’en
comprendre la description et bien les distinguer. Des dessins
illustrent les principaux éléments à la fin de la clé. Il faut aussi
que les spécimens soient le plus propre possible et montés sur une
pointe de carton insérée sur une épingle entomologique. Le vocabulaire
de la morphologie est assez diversifié et parfois spécialisé.
Un glossaire
est disponible
dans le menu Identification du site.
Pour accéder à des
caractères cachés. Étant donné leur petite taille en
général, la majorité des spécimens sont traditionnellement collés du
côté ventral du corps sur ladite pointe de carton. Parfois, cette
pratique empêche de repérer des caractères ventraux nécessaires pour
une identification certaine. Cependant, à l’aide d’un échantillon de
terrain récent provenant d’un nid ou déjà conservé dans l’alcool et
bien nettoyé, on dispose de spécimens propres dont les pattes pourront
être enlevées délicatement avec des pincettes. Dans le cas de spécimens
déjà montés et secs, il est possible de les assouplir avec de l’alcool
ou un liquide assouplisseur, puis d’enlever délicatement les deux
pattes postérieures gauches. À noter que le montage standard pour les
fourmis est de positionner la face latérale droite du corps sur la
pointe du carton, ainsi la tête de la fourmi est vue à notre gauche
(voir les illustrations, en particulier la figure 6).
Avis sur l’usage
des photos. Les photos accompagnant les volets de la clé
peuvent être agrandies pour la très grande majorité. En passant le
curseur de la souris sur la photo choisie, une main apparaîtra. En
cliquant alors sur la photo, elle s’agrandira pour mieux voir les
caractères mentionnés dans le volet de la clé. La grande majorité des
photos proviennent du @Antweb.org (2023) et sont utilisées ici selon
les règles internationales de Creative
Commons. À la fin de la clé, une
série de dessins illustre certaines parties du corps selon diverses
positions et mesures, des formes, la pilosité et la pubescence, en lien
avec le vocabulaire.
CLÉ DES GROUPES
SELON
LES FEMELLES ERGATES
Modifications taxinomiques.
Traditionnellement, certains groupes néarctiques d’espèces de Formica
ont été identifiés par des noms paléarctiques d’espèces cousines. Leurs
différences, dans le contexte de l’isolement généré par la dérive des
continents, imposent d’identifier ces groupes par des noms d’espèces
néarctiques (Bolton 1995, Francoeur 1973, Schär et al. 2018).
Ainsi, je propose les changements suivants : Groupe sanguinea devient
Groupe aserva,
Groupe exsecta
devient Groupe exsectoides,
Groupe rufa
devient Groupe obscuriventris
et Groupe fusca
devient Groupe subaenescens.
Les Groupes microgyna,
neogagates
et pallidefulva
sont propres à la région Néarctique. Pour la myrmécofaune du Québec, la
présente clé d’identification se base sur ces groupes néarctiques.
|
 |

|
 |


|
 |

|
 |
|
 |
|
 |

 |
 |


|
 |
|
|
 |
|
Références
|
Agosti, D. &
Bolton, B. 1990. New
characters to differentiate ant genera Lasius and
Formica
(Hymenoptera: Formicidae). Entomologist’s Gazette 41:
149-156. |
Antweb.org. 2023. ©
California Academy of
Sciences. Photographes
des illustrations. April Nobile : B, C, 4, 7, 8,
10, 11, 12, 15, 15a. Harvard College, MCZ : 1, 3. Ryan Perry : 16, 17,
17. Shannon Hartman : 5, 6. |
AntWiki.org. 2023.
Formica.
https://antwiki.org/wiki/Formica. |
Antwiki.org, 2023. Formica
aserva.
https://antwiki.org/wiki/Formica_aserva#Identification. |
Béique, R. &
Francoeur, A. 1968. Les
fourmis de la pessière à Cladonia II. – Étude quantitative d’une
pessière naturelle. Revue d’écologie du sol. T. V. 3 :
523-531. |
Bolton, B. 1995. A new
general catalogue of the
ants of the World. Harvard University Press, Cambridge,
MA. 222 p. |
Bolton, B., Alpert, G.,
Ward, P.S. & Naskrecki,
P. 2007. Bolton’s
catalogue of ants of the world: 1758-2005.
Cambridge, Massachusetts: Harvard University Press, CD-ROM. |
Ellison, A.M., Gotelli,
N.J., Farnsworth, E.J. & Alpert, G.D. 2012. A field guide to the ants of New
England. Yale
University Press, New Haven. 398 p. |
Fisher, B.L. &
Cover, S.P. 2007. Ants
of
North America. A guide to genera. University of California
press,
Berkely. 194 p. |
Francoeur, A. 1973.
Formica subaenescens
Révision
taxonomique des espèces néarctiques du groupe Formica fusca,
genre
Formica
(Formicidae, Hymenoptera). Mémoires de la Société
entomologique
du Québec, no 3 : 316 p. |
Francoeur, A. 1983. The ant fauna near the tree-line
in northern Quebec (Formicidae, Hymenoptera). Nordicana
47: 177-180. |
Francoeur, A. 2001. Les fourmis de la forêt boréale
(Formicidae, Hymenoptera). Le Naturaliste canadien 125 (3)
: 108-114. |
Frouz, J. &
Jilkova, V. 2008. The
effect of
ants on soil properties and processes (Hymenoptera: Formicidae).
Myrmecological News 11: 191-199. |
Lafleur, B., Bradly, R.L.
& Francoeur, A. 2002. Soil
modifications created by ants along a post-fire chronosequence in
lichen-spruce woodland. Ecoscience 9 (1) : 63-73. |
Hölldobler, B. &
Wilson, E.O. 1990. The
ants. Belknap Press of Harvard University Press,
Cambridge,
Massachusetts. 732 p. |
Passera, L. &
Aron, S. 2005. Les
fourmis.
Comportement, organisation sociale et évolution. Presses
scientifiques
du CNRC-NRC. 480 p. |
Schär, S., Talavera, G.,
Espadaler, X., Rana,
J.D., Andersen Andersen, A., Cover, S.P. & Vila, R. 2018. Do Holarctic
ant species exist? Trans-Beringian dispersal and homoplasy in the
Formicidae. Journal of Biogeography 2018: 1-12 |
ILLUSTRATIONS DE
FORMES ET DE MESURES STANDARDS
Planche
A
1. Tête : largeur (LaT) et longueur (LoT).
2. Mésosome en vue latérale : longeur (LoM).
3. Scape de l’antenne : longueur (LoS).
4. Tergite du pétiole en vue postérieure : largeur (LaPt) et hauteur
(HaT).
5. Pétiole en vue latérale : hauteur totale (tergite + sternite) (HaP).
6. Mésométasternum en vue ventrale : position de la cavité centrale du
métasternum. |
 |
Planche
B
Faces et pilosité du fémur.
7. Schéma illustrant les quatre faces :
face antérieure latétale (al),
face dorsale (d),
face postérieure latérale (pl),
face ventrale (v).
8. Pilosité présente sur les quatre faces d’un fémur en coupe
transversale.
9. Pilosité présente sur les faces postérieure latérale et ventrale.
10. Pilosité présente sur la face ventrale seulement.
|
 |
Planche
C
Pétiole en vue postérieure.
11 à 14 : variations diverses de la marge postérieure du tergite.
|
 |
Planche
D
Pilosité et pubescence.
15. Types de poils dressés :
a, tige ronde et effilée;
b, tige de longueur moyenne, large et apex pointu; c, tige courte,
large, à marges convexes et apex pointu.
16 à 20. Types de densité de la pubescence, accompagnée de poils
dressés sur les tergites du gastre, à fort grossissement (>40x).
|
 |
|