Caractéristiques morphologiques

Caractères généraux (figures 2 à 6). Le corps d’une fourmi se présente sous trois formes distinctes. L’ergate : une femelle aptère à l’émergence, au thorax morphologiquement simplifié, qui exerce généralement la fonction d’ouvrière, comprenant diverses tâches. La gyne : une femelle ailée à l’émergence, pondeuse, appelée reine, généralement plus grande que l'ouvrière; cette femelle conserve les spermatozoïdes dans un réceptacle séminal. Le mâle : un individu ailé, au thorax développé et de taille variable selon les genres. Il a le plus souvent une tête de petite dimension et des génitalia apparents. Le mâle n’a qu’une seule fonction : féconder les femelles reproductrices.

Certaines espèces, devenues parasites d’une autre espèce de fourmi, ont perdu la forme ergate; on n'a relevé jusqu'à présent que trois cas de cette nature au Québec, celui d’Anergates atratulus (Francoeur et Pilon, 2011), de Myrmica lampra (Francoeur, 1968) et de Myrmica quebecensis (Francoeur, 1981). Voir illustrations de ces espèces à la rubrique Galerie.
Les variations de forme et de taille des ergates, en particulier de la tête, se traduisent par un polymorphisme de nature diverse qui oblige de subdiviser cette caste en plusieurs formes, allant des ergates naines du premier couvain d'une gyne fondatrice aux ergates gigantesques (ou soldats) d'une colonie florissante, ainsi que diverses formes intermédiaires entre l'ergate et la gyne d'origine naturelle ou pathologique : ergatogyne, pseudogyne, ergatandromorphe, etc. (Wilson, 1971; Francoeur et al. 1985).



Figure 2. Vue latérale du corps d’une ergate/ouvrière. Sur cette image, la tête est colorée en rouge et le thorax en bleu. L’abdomen (7 segments) est coloré en jaune et en vert lime : le propodéum est soudé au thorax; le pétiole est séparé du gastre par une constriction. Image modifiée de Roberto Keller/AMNH  (http://blog-rkp.kellerperez.com/image-use).

L'apparence générale de la gyne rappelle celle de l'ergate, mais elle en diffère par les principaux traits suivants : yeux plus grands, ptérothorax volumineux abritant les muscles alaires et supportant deux paires d'ailes sessiles, délestées après accouplement; le cerveau et les gonades sont en outre plus développés. La longévité et la fécondité de la reine (ou des reines), qui peuvent s'étendre sur plusieurs années, déterminent l'existence et l'importance de la colonie. Le record connu appartient à une gyne de l’espèce Lasius niger qui vécut en laboratoire (sous des conditions optimales de vie) 28 ans et 8 mois (Passera & Aron 2005).

Le mâle, très différent des femelles, se distingue par une tête souvent petite, déformée par l'énormité des ocelles et des yeux composés, des mandibules fréquemment atrophiées, un nombre plus grand d'articles aux antennes, un ptérothorax plus ou moins difforme, pourvu de deux paires d'ailes permanentes, un pédicelle et un gastre plus graciles que ceux de la gyne, des génitalia le plus souvent apparents, et par une coloration généralement noirâtre.

L'abdomen est profondément transformé chez les trois formes (figures 3 et 4). Appelé propodéum, le premier segment abdominal se fusionne au thorax pour constituer la partie centrale du corps ou mésosome (antérieurement nommé tronc ou alitronc). Selon les sous-familles, des étranglements prononcés isolent tantôt le 2e, tantôt les 2e et 3e segments qui forment ainsi un pédicelle articulaire; ils sont appelés respectivement pétiole et postpétiole. Les autres segments forment un gastre qui apparaît physionomiquement comme étant l'abdomen de la fourmi. Grâce au pédicelle, cette dernière peut imprimer à son gastre d'amples mouvements, surtout verticaux.


Figure 3. Apparence générale du corps (ou habitus) en vue latérale d’une espèce sans postpétiole, Formica subsericea (Formicines). A. Ergate. B. Gyne désailée. C. Mâle. Codes : aa, aile antérieure; ap, aile postérieure; as, anépisterne; c, coxa; cs, catépisterne; ge, parties externes du génitalia; m, métanotum; ms, mésonotum; mt, métanotum; p, pétiole; pn, pronotum; pr, propodéum; s, sternite du gastre; sc, scutum; sl, scutellum; t, tergite du gastre; te, tégule. La flèche indique l’acidopore cilié.


Figure 4. Apparence générale du corps (ou habitus) en vue latérale d’une espèce avec  postpétiole, Myrmica alaskensis (Myrmicines). Corps sans les appendices (antennes et pattes). A. Ergate. B. Gyne désailée. C. Mâle.  Pédic. = pédicelle.

Les antennes sont coudées, c'est-à-dire possèdent une articulation entre le 1er et le 2e article qui permet une flexion de plus de 90°, dans un seul plan; en outre, l’articulation basale de l’antenne sur la tête permet de plus amples mouvements. Cette manœuvre confère un port typique aux antennes, un caractère distinctif de l’allure (ou habitus) des fourmis.

Morphologie de la tête (figures 5 à 7). La tête apparaît comme une masse, le plus souvent quadrangulaire dans notre myrmécofaune, composée d’un certain nombre de régions, de pièces et d’appendices : un crâne, une paire d’yeux composés et parfois des ocelles, une paire d’antennes, des pièces buccales.


Figure 5. Tête en vue dorsale d’une ergate de Myrmica alaskensis, sans l’antenne droite.

En vue dorsale, on distingue antérieurement deux mandibules très sclérifiées, habituellement énormes chez les ergates et les gynes, souvent réduites chez les mâles. Fait remarquable, leurs mouvements sont indépendants de ceux des autres pièces buccales; elles s’articulent sur les génas (ou joues), pièces constituant les parties latérales antérieures du crâne. Très réduites chez les mâles, les génas sont limitées par le clypéus, la région frontale et les yeux composés. Le clypéus, soudé au bord antérodorsal du crâne, se présente comme une surface le plus souvent bombée ou carénée, relativement étroite, aux formes très variées; il précède le front et les joues (génas) et cache les pièces buccales ventrales. La suture clypéofrontale et les sutures clypéogénales demeurent visibles au moins partiellement; ces dernières abritent chacune une microfossette dans la moitié médiane de leur parcours.

La région frontale inclut : (a) antérieurement, une aire frontale, en général triangulaire, qui est contiguë à la partie médiane de la marge postérieure du clypéus; (b) un sillon médian et longitudinal, mieux développé chez les gynes et les mâles, qui joint souvent l’aire frontale à l’ocelle antérieur; (c) latéralement, des lamelles parfois très développées, parfois réduites à de simples carènes; (d) postérieurement, un front qui s’étend jusqu’à l’ocelle antérieur. Sans limite supérieure définie, le front laisse place imperceptiblement au vertex. Le vertex est une région dorsomédiane du crâne, située immédiatement derrière le front; il porte, chez les mâles, les gynes et parfois chez les ergates, trois ocelles disposés en forme de triangle dont la base est orientée vers l’occiput. Les angles postérieurs du crâne sont limités par la partie postérieure des yeux, le vertex, l’occiput et la face ventrale du crâne. Les yeux, le plus souvent en position médiolatérale ou dorsolatérale sur la face supérieure du crâne, sont ronds ou diversement ovoïdes et de taille variable selon les formes corporelles; ils font transition entre les génas et les angles postérieurs. L’occiput et les angles occipitaux couronnent le sommet de la tête.

Les deux antennes, organes sensitifs indispensables à la survie de la fourmi, s’articulent dans deux fossettes situées sous l’extrémité antérieure des lamelles ou crêtes frontales et, plus ou moins, près des sutures clypéogénales. Une antenne se compose d’articles dont la longueur et le nombre varient avec les genres et le sexe. Ce nombre varie de 9 à 13 chez nos espèces.
Le premier article, appelé scape, est généralement long chez les ergates et les gynes et proportionnellement plus court chez les mâles; son extrémité proximale est transformée en un pédoncule articulaire, s’insérant dans la fossette antennaire, tandis que l’extrémité distale, modifiée en charnière, permet l’articulation du funicule. Celui-ci comprend les autres articles de l’antenne dont les derniers sont parfois renflés en une massue. Le funicule du mâle, allongé et filiforme, compte un article supplémentaire.


Figure 6. Vue dorsale du corps d’une ergate de Formica aserva. Absences : l’antenne gauche, cinq pattes, la pilosité et la pubescence. P : pédicelle.

En vue ventrale (figure 7), on distingue antérieurement un appareil buccal, la plaque ventrale du crâne, auparavant appelée à tort gula, qui rejoint l’occiput, et le foramen occipital, trou qui laisse passer les structures des systèmes nerveux, circulatoire et digestif. Les pièces buccales ventrales, qui circonscrivent un espace appelé cavité ou chambre préorale, comprennent quatre éléments : le labre, une paire de maxilles et un labium. Le labre est une simple lamelle chitineuse, articulée comme une trappe sur la marge postérieure de la face ventrale du clypéus, ce qui lui permet de recouvrir et de protéger une partie des maxilles et du labium; une invagination antéromédiane, plus ou moins profonde, fait souvent paraître le labre bilobé. La maxille se compose d’un cardo, pièce basale articulaire, d’un stipe qui porte des palpes dont les articles varient en nombre et en longueur, d’une lame interne membraneuse ou lacinie et d’une lame externe ou galéa, pourvue d’un peigne, de soies et de papilles gustatives. Le labium comprend (a) des pièces impaires : le postmentum, le prémentum (tels que définis par Gotwald, 1969), la glosse, et (b) des pièces paires : les palpes dont les articles varient en longueur et en nombre et les paraglosses qui sont atrophiées et parfois disparues. La pièce membraneuse sur la partie dorsale du prémentum s’appelle hypopharynx.


Figure 7. Tête d’une Formica. A : coupe sagittale illustrant le pharynx et ses annexes. B : vue de la face ventrale et des pièces buccales.

Morphologie du mésosome (figures 3, 4, 6). Le mésosome, généralement allongé chez les ergates et plus trapu chez les gynes et les mâles, constitue un ensemble robuste dont les sclérites sont fortement fusionnés de telle sorte qu’il s’avère souvent impossible de les différencier. Il se divise en quatre segments : le prothorax, le mésothorax, le métathorax et le propodéum (ou épinotum). Les trois premiers segments, formant le thorax de l’insecte, portent chacun une paire de pattes attachées ventralement au sternum. Les structures ptérothoraciques des ergates dépourvues d’ailes et de muscles alaires sont fortement diminuées, tandis qu’elles influencent profondément la conformation du mésosome chez les deux formes ailées à l’émergence. On distingue sur le tégument, qui affiche une assez grande variété de sculptures, deux types de revêtement pileux : la pilosité regroupant les poils les plus longs, dressés ou subdressés, et la pubescence constituée des poils plus courts et plus fins, couchés sur la surface du corps.

Chez l’ergate. Le prothorax, segment habituellement le plus large, se présente en deux parties : un pronotum dorsal, et un prosternum ventral. Ce dernier s’attache au pronotum grâce à des replis membraneux, généralement cachés, qui lui confèrent une certaine liberté de mouvement. Les pattes antérieures deviennent ainsi beaucoup plus mobiles que les autres. Le prothorax se trouve en position plus dorsale par rapport à l’ensemble du deuxième segment dont la partie pleurosternale (sur les flancs/côtés) est plus développée. Le mésothorax forme une bande plus étroite qui, vue de côté, s’avère souvent la plus allongée dorso-ventralement. Il a perdu le scutellum et le postscutellum. La suture promésonotale permet une articulation partielle entre les deux premiers segments thoraciques chez certains genres, tandis qu’elle devient complètement rigide chez les autres. Le  métathorax, atrophié et réduit dorsalement à une ligne souvent imperceptible, se révèle surtout par ses structures sternales portant les pattes postérieures. Il est dominé dorsalement par le propodéum qui s’identifie par deux stigmates latéraux et par la variété de ses formes. La suture entre le mésonotum et le propodéum prend souvent la forme d’une dépression importante. Le mésométasternum offre parfois des sculptures et des expansions chitineuses, taxinomiquement intéressantes. Les pattes, peu variables, comprennent un coxa attaché au sternum, un trochanter très petit, un fémur très allongé, un tibia, puis un tarse de cinq articles. Il existe un ou deux éperons à l’extrémité distale des tibias. Celui du tibia des pattes antérieures est transformé en un peigne appelé strigile, organe de nettoyage pour les antennes et les pattes.

Chez la gyne (figures 3 et 4). Le pronotum, rejeté vers l’avant par l’expansion du mésothorax, prend une position verticale et ses côtés débordent sous le mésonotum. Ce dernier inclut un scutum très grand et un scutellum plus petit. De chaque côté du scutum, il existe une ligne qui, partant du bord postérieur, se prolonge vers l’avant sans atteindre le bord antérieur; il s’agit des sutures parapsidales qui délimitent deux aires longitudinales, les parapsides. Les deux régions latérales du segment englobent chacune une pièce supérieure, l’anépisterne, et une pièce inférieure, le catépisterne. Les ailes antérieures s’articulent juste au-dessus des mésépimères et en avant des préscutellums, pièces précédant latéralement le scutellum et dominant dorsalement l’anépisterne. Un petit sclérite squamiforme, la tégula, recouvre l’insertion des ailes antérieures.

Les métapleures et le métasternum sont identiques à ceux du mésothorax, mais plus petits. Cependant, le métanotum est fortement réduit en une pièce très étroite qui signale son existence derrière le mésoscutellum. Les ailes postérieures, plus petites que les précédentes, s’attachent entre les mésopréscutellums et le métanotum qui suit le mésoscutellum. Bien que la nervation des ailes montre d’importantes variations, elle présente souvent des modèles typiques au niveau du genre et parfois au niveau de l’espèce.

Chez le mâle (figures 3 et 4). Même si le mésosome du mâle s’avère fondamentalement construit comme celui de la femelle, il possède une allure quelque peu différente. Vu de profil, le thorax paraît souvent voûté à cause d’un développement important du mésonotum; ce phénomène est moins fréquent chez les formes primitives (genres Stigmatomma et Ponera). Parfois très bombé, le scutum tend à former, à lui seul, le rebord antérodorsal du thorax; il repousse davantage le pronotum qui se rétrécit parfois fortement. Chez certaines espèces, on peut voir sur le mésoscutum une dépression médiane, en forme de Y plus ou moins complet, surnommée sillons de Mayr. Le scutellum prend la forme d’un plateau surélevé ou bien d’un renflement élargi. Les mésépisternes deviennent fréquemment bulbeux. Les pattes sont plus délicates. Si présentes, les sculptures et les protubérances du sternum sont atténuées. Les stigmates du propodéum s’entourent d’un rebord plus épais.

Morphologie du pédicelle et du gastre (figures 3 et 4). Selon les sous-familles, le pédicelle se compose de un ou deux segments abdominaux, le pétiole et le postpétiole. Fortement sclérifiés, ils apparaissent composés de deux pièces : l’une dorsale (le tergite) et l’une ventrale (le sternite). Toujours présent, le pétiole varie dans ses dimensions et ses sculptures selon les sous-familles et les genres. La partie dorsale, parfois atrophiée, revêt la forme d’une écaille ou d’un nœud; les courbes du sommet et l’épaisseur sont utilisées dans la taxinomie des espèces. La partie ventrale présente une variété de formes et de protubérances. Dans certains cas, le pétiole s’allonge antérieurement pour former un pédoncule. Le postpétiole est généralement plus petit, surtout nodiforme, et plus monotone que le pétiole. Chez les formes plus primitives, comme dans les genres Stigmatomma (Amblyoponines) et Ponera (Ponérines), ce segment abdominal demeure encore largement soudé au gastre. Le pédicelle de la gyne diffère très peu de celui de l’ergate. Celui du mâle est plus grêle que celui des formes femelles et montre des sculptures et des protubérances réduites. On aperçoit un stigmate respiratoire sur le côté de chaque segment du pédicelle et du gastre.

Le gastre se compose de 7 ou de 8 segments selon le nombre de segments du pédicelle. Seulement 3 à 6 segments chez les formes femelles et 5 à 7 chez le mâle sont visibles extérieurement; les autres sont télescopés à l’intérieur où certains contribuent à la formation de l’aiguillon des formes femelles chez plusieurs espèces ou des génitalia du mâle. Parfois, le premier tergite s’agrandit au point d’occuper presque tout le dorsum gastrique, en particulier chez les Myrmicines (figure 5). L’ergate et la gyne possèdent un gastre plutôt ovoïde en vue dorsale, tandis que celui du mâle est souvent plus mince et plus cylindrique. Les génitalia du mâle sont souvent en partie visibles extérieurement, à l’extrémité postérieure du gastre.
Références
Francoeur, A. 1966. La faune myrmécologique de l'érablière à sucre (Aceretum saccharophori Dansereau) de la région de Québec. Le Naturaliste canadien 93 : 443-472.
Francoeur, A. 1968. Une nouvelle espèce du genre Myrmica  au Québec. Le Naturaliste canadien 95: 727-730.
Francoeur, A. 1981. Le groupe néarctique Myrmica  lampra (Formicidae, Hymenoptera). Canadian Entomologist 113: 755-759.
Francoeur, A. & C. Pilon. 2011. Découverte au Québec de la fourmi parasite Anergates atratulus (Formicidae, Hymenoptera). Le Naturaliste canadien 135 (2) : 30-33.
Francoeur, A., Loiselle, R. & A. Buschinger. 1985. Biosystématique de la tribu Leptothoracini (Formicidae, Hymenoptera).
1. Le genre Formicoxenus dans la région holarctique. Le Naturaliste canadien 112: 343-403.
Gotwald, W.H.1969. Comparative morphological studies of the ants,with particular reference to the mouth parts (Hym., Formicidae). Memoirs of Cornell University Agricultural Experiment Station no. 408. 150 p.
Passera, L. & S. Aron. 2005. Les fourmis : comportement, organisation sociale et évolution. Les Presses scientifiques du CNRC, Ottawa, Canada. 480 p.
Wilson, E.O. 1971. Insect Societies. Belknap Press of Harvard University Press, Cambridge. 548 p.

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